Agressions sexuelles –  Vers un modèle de justice où tout le monde gagne

recueillement, regretL’augmentation considérable des dénonciations sur les réseaux sociaux manifeste un immense malaise. Aux yeux de plusieurs, notre système de justice est trop lent, partial,… Alors le besoin de canaliser une révolte trop longtemps contenue prend d’autres chemins.

Mais une dénonciation change-t-elle vraiment quelque chose d’essentiel au système pénal? Ne reste-t-on pas encore dans un règlement de comptes de nature duelle — où la règle est de gagner sur l’autre?
Quels autres possibles pourraient s’ajouter à notre horizon?…

  En effet, vu du cœur, agressée et agresseur y perdent: chacun se durcit sur ses positions. L’agressée verra se ré-ouvrir sa blessure; l’agresseur sera stigmatisé dans l’opinion publique ou dans son emploi, sans pouvoir se défendre. Tous en sortent plus meurtris, en plus d’être inquiets pour leur avenir.

Gagner l’un avec l’autre? En pratique…

On parle alors de justice réparatrice : on se donne la chance d’évoluer et on l’offre à l’autre. Plus loin que le droit on fait une place au besoin. La tête sait juger, le cœur sait comprendre.

Des démarches, des ateliers de justice réparatrice existent ici et là depuis longtemps déjà. Peu connues peut-être, pas assez nombreuses encore, elles demandent d’être multipliées.

En bref, ça dépasse la thérapie personnelle, ça lui ajoute la médiation.
Dans l’idéal, la personne agressée et son agresseur se rencontrent, guidés par un modérateur.
Si la personne agressée se sent trop vulnérable pour ce face-à-face, d’autres modalités sont envisagées. Par exemple, il arrive qu’on lui fasse rencontrer un ancien agresseur, qu’elle ne connaît pas et aujourd’hui réhabilité, qui peut l’aider à comprendre la situation vécue avec son abuseur.  (1)

La dynamique relationnelle

Ceux qui ont vécu un parcours de type médiation ont pu l’apprécier — bien qu’il demande du courage. Quand on peut exprimer sa douleur ou sa frustration, se sentir écouté, aussi comprendre l’autre sans le réduire à son geste abusif, alors une guérison a des chances de débuter.

«La libération de la souffrance amène à comprendre que
la personne qui a commis un crime est une personne plus grande que sa faute
et la personne qui a subi un acte criminel est une personne plus grande que sa blessure.» (2)

Chaque événement de nos vies recèle une occasion de croissance. Chacun est invité à se l’offrir ici. Quelle implication avons-nous vécue? En tant qu’abuseur, quelle était notre intention?… En tant que victime, à quoi avons-nous consenti?… Notre démarche de vérité avec l’autre est conditionnée par celle que nous avons avec nous-même — exigeant ! on y mesure l’amour de soi: une conquête jamais achevée. Par bonheur, si nous sommes tous deux dans la vérité, la démarche peut devenir une complicité dans la guérison.

La dynamique spirituelle

Un recul sur pareille expérience nous parle du fonctionnement de la vie. D’abord, nous découvrons que nous sommes créateurs de notre vie plus que nous le pensions, même dans une situation où nous nous retrouvons victimisé.
Une étincelle peut se produire alors: réaliser à quel point la vie est une grande unité, où tout est relation, où tout est interconnecté. Au point de découvrir que dans une confrontation, c’est une illusion de croire que l’un puisse gagner vraiment si l’autre y perd.

Oui, j’en ai la conviction: les façons de résoudre un événement d’abus qui ont une issue heureuse à long terme sont celles qui sollicitent chez chacun l’envie de grandir et de croire que l’autre le peut aussi. Bref, ce sont des situations où on a trouvé comment gagner l’un par l’autre.

Envisager de pardonner

Utopique, ce qui précède?…
Rare encore, mais pas utopique. Je ne peux m’empêcher d’évoquer ici un film documentaire qui m’a remué, et m’en a convaincu: ‘Au-delà du pardon’.

Un attentat dans une école d’Afrique du Sud a fauché la vie de plusieurs enfants. La mère d’une des fillettes a senti une soif irrésistible de connaître celui qui avait commandé l’assassinat. S’en suit une épopée étonnante, où l’agresseur et la mère de l’enfant vont découvrir la force du pardon, jusqu’à même créer une fondation vouée à la réconciliation et témoigner ensemble de leur expérience à travers le monde. (3)

Si on veut creuser jusqu’aux racines de notre avantage à pardonner, voici une synthèse remarquable, non seulement pour réaliser qu’arriver à pardonner nous guérit nous-même, mais aussi pour apprendre le chemin pratique une fois qu’on veut regarder de ce côté …en se donnant le temps qu’il faut pour rester dans le vrai avec soi. (4)

Nos sociétés évoluent elles aussi…

Nous entrons dans une période inédite de prises de conscience, mais aussi de créativité dans les solutions aux conflits. Nous avons entrepris un pas d’évolution inconnu jusqu’ici dans l’Histoire: nous commençons à pressentir que dans nos relations, les seules expériences capables de devenir guérisseuses sont celles bâties sur une approche gagnant-gagnant. Ça se comprend, quand on y réfléchit: ce sont des sous-produits de l’amour inconditionnel — la seule force capable de se tenir debout sans béquilles.

Denis Breton

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(1) On lira avec intérêt l’article de Jessica Nadeau «Justice réparatrice: des alternatives au procès», Le Devoir, Montréal, 15 juillet 2020.

(2) Source: Justice réparatrice de Québec : https://justicereparatricedequebec.org

(3) Voici un aperçu du film Au-delà du pardon’ (Beyond Forgiving), au Québec diffusé par l’organisme Initiatives et changement (vidéo: 1min.49 — sous-titres en français)

(4) «Why Forgiving Someone Else Is Really About You», https://www.npr.org/2020/07/28/896245305/why-forgiving-someone-else-is-really-about-you

Ω

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