«Tu te rappelles, Véronique…

…que tu as enchanté notre vie?»

Réflexions sur l’avortement et la recherche du sens d’une vie

Au moment d’écrire ces lignes, l’Irlande soumet un référendum à l’approbation de ses citoyens,  en vue de libéraliser davantage la loi limitant l’accès à l’avortement. Les médias rapportent toutes sorte de réactions émotives au sein de la population — aussi bien chez des gens qui promettent de quitter le pays si la loi ne passait pas, que chez d’autres qui affichent sur pancarte quelque chose comme «J’ai 9 semaines et je bouge dans ton ventre: vas-tu m’avorter?…» 

À entendre cette nouvelle, je deviens pensif : ma fille est enceinte et j’écoute à nouveau en moi l’explosion de joie avec laquelle elle m’a annoncé que l’enfant bougeait dans son ventre: il avait autour de 9 semaines lui aussi. Moi qui rêve depuis bien longtemps de vivre l’expérience de grand-papa — au point d’avoir commencé un petit trousseau en 2000, à l’occasion d’un voyage au Pérou!

Je revis aussi quelque chose de l’émotion éprouvée en 1988, mais pas pour les mêmes raisons. La Cour suprême du Canada venait de légaliser l’interruption de grossesse, alors que nous avions accueilli Véro à peine deux ans plus tôt. Alors âgée de 7 ans, on lui donnait une espérance de vie de 12 ans. Elle est morte à 18 ans dans mes bras, et j’ai été trois heures sans arriver à m’en détacher…. Trois cents personnes sont venues à ses funérailles.
Pourtant elle était quadraplégique, muette, sourde d’une oreille, incontinente et clouée à son fauteuil depuis sa naissance. Que s’était-il donc passé?…
Je n’ai pas été surpris. Au quotidien je m’en rendais compte: Véronique appelait le meilleur des gens à  la surface. Eux s’approchaient d’elle et repartaient meilleurs encore…

«Oui Véro, ma petite merveille sur deux …roues, ma limace à grimaces, comme j’aimais t’appeler… Imagine, si on t’avait avortée à ta naissance… 
Il n’y aurait pas eu d’Emmanuelle, qui a 3 ans se haussait sur ses petites pattes pour venir te faire une caresse…
Il n’y aurait pas eu de Fanny pour t’accompagner fidèlement à tous les repas avec une patience d’ange: tu te souviens, quand on mangeait du spaghetti, souvent tu avais un éternuement incontrôlé, qui valait tous les tsunamis! Fanny restait calme et prenait tout le temps qu’il fallait pour te laver les cheveux… Tout le monde riait, et toi tu n’avais pas assez de tes petits poumons atrophiés pour rire: tu complétais avec tes yeux…
Tu nous as tous joué un bon tour…»

Mes premiers questionnements sur l’avortement

Si, avec ma compagne, nous avons fait un projet de vie d’accueillir et adopter des enfants, c’est sûr qu’au fond de moi ça s’est renforcé de considérer la vie comme quelque chose de sacré. J’ai toujours confusément considéré que si un enfant est en chemin de naître, c’est qu’il y a eu de bonnes raisons pour l’amener là, même si elles sont mystérieuses.

Dans le même temps, je ne me suis jamais permis de juger les parents qui confient leur enfant à l’accueil ou à l’adoption. Je sais que c’est si souvent un choix déchirant que de prendre cette décision, à plus forte raison lorsque dans un couple ce ne sont pas les deux parents qui arrivent à la même conclusion. Moi, je n’ai jamais eu à faire ce choix, en plus que ma compagne et moi avions le beau rôle dans l’histoire.
Et je salue ici le courage des parents de Véro, qui malgré leurs contraintes ont toujours gardé un lien avec leur fille et l’ont périodiquement reprise à la maison.
D’une façon, nous avions un peu le sentiment d’être parents de Véro ensemble — peut-être comme il arrive dans les communautés amérindiennes lorsqu’un enfant est confié à une autre famille.

Un questionnement qui évolue

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais ma vision sur le sujet s’est élargie au fil des ans et des expériences.
Comme je me suis mis à trouver plausible qu’une âme ait choisi les aspects-clé de son incarnation, je n’ai pas de mal à croire aujourd’hui que mes parents et moi nous nous sommes choisis mutuellement…
…et mon avortement aurait pu en faire partie. Peut-être dans un projet d’expérimenter de nouvelles facettes de la vie humaine, même si elles pouvaient entraîner de la douleur; ou encore pour libérer un karma, comme interprètent les Bouddhistes. Ou encore pour contribuer à l’évolution de quelqu’un d’autre, ses parents ou son entourage…
S’il est vrai que tout est relié, j’imagine volontiers qu’en pareil cas les bénéfices attendus sont tout autant pour soi que pour d’autres.

J’ai aussi prêté l’oreille à d’autres enseignements à caractère spirituel. Par exemple à la possibilité que l’âme s’insère dans le corps seulement après quelques semaines, le temps de laisser l’entourage réagir à l’événement de la grossesse, avec la possibilité d’y mettre fin.

Ce qui est sûr, c’est que toutes les trajectoires humaines ont leurs raisons, et qu’elles offrent toujours un pont vers plus de compréhension de la vie, plus de croissance.
S’il ne me revient pas de juger qui que ce soit — y compris moi-même si j’étais concerné comme parent biologique — c’est que non seulement les éléments essentiels à juger nous manquent; mais surtout que le Divin, qui nous a faits libres, Lui ne juge pas.

Une perspective d’avortement vient fouiller profondément dans nos visions de la vie, dans le sens que nous accordons à la nôtre en particulier, jusque dans la psychologie profonde d’une femme qui vit la grossesse.
Nous sommes quelquefois pris entre plusieurs amours qui nous apparaissent irréconciliables : préserver notre liberté face à un enfant qui naîtrait handicapé?… désirer lui éviter la souffrance?… ne pas mettre en péril notre couple?… avoir de quoi nourrir nos autres enfants?…

La question apparaît plus délicate encore lorsque l’avortement est choisi comme un contraceptif — ce qui semble le cas dans un pourcentage élevé.
Se pourrait-il alors que les personnes concernées soient ignorantes des souffrances psychologiques auxquelles elles s’exposent dans la suite?… C’est en tout cas ce que semble conclure Maria Grundberger, une sage-femme qui conseille dans un centre d’avortement à Munich: «Pour beaucoup de femmes, se décider pour ou contre l’enfant est une charge telle qu’elles peuvent difficilement tenir le coup. Alors, elles avortent, en pensant qu’après, cela ira mieux pour elles, et c’est seulement a posteriori qu’elles comprennent que ce peut être pis encore. »

Un seul a les vraies réponses, qui vont quelquefois au-delà de nos raisonnements, et surtout au-delà des peurs et des conditionnements sociaux, si souvent culpabilisants: c’est notre coeur.  Il est le seul à être connecté sur l’infini de la vie. Comment l’écouter en profondeur?…

Parmi les options possibles…

Se peut-il que, plus loin encore, le choix d’avorter ou pas questionne notre confiance en l’existence?…
C’est le filon que ma compagne et moi avons suivi: donner sa chance à la Vie, prendre le risque de l’inattendu, qui pourrait tourner à une expérience d’évolution insoupçonnée, qui sait… 
C’est ce qui fait monter en moi l’émotion encore, et qui a la saveur d’une fête:

«Véronique, tu es une des personnes qui ont apporté le plus de sens à ma vie. Tu as si souvent mis mon coeur en danse, toi si légère dans tes contraintes si lourdes…
Jamais je n’oublierai nos dimanches soirs, lorsque je te préparais pour ta nuit. Il m’arrivait de te demander pardon: je t’avais promis une ballade du dimanche, sans avoir pu tenir parole. Ta petite main spastique se levait lentement, ton petit poing fermé arrivait enfin à taper sur ton front. Ça, c’était pour dire ‘
‘…t’es pas mal toc toc, en effet”. 
Alors, je me sentais pardonné comme jamais personne ne m’a pardonné, à mon tour léger…
Merci Véronique d’être entrée dans ma vie, et bonne route dans la lumière…»

Ω

1 réflexion au sujet de “«Tu te rappelles, Véronique…

  1. Quel merveilleux partage !

    Votre réflexion sur l’avortement et la recherche du sens d’une vie me touche profondément. Il a fallu que je sois confrontée à la différence pour réaliser le cadeau que nous apportent ces personnes différentes.

    Voici une question que je me suis souvent posée étant enceinte, et qui resurgit en vous lisant: « et si mon gynécologue nous annonçait que l’enfant à naître est gravement atteint, quelle réaction aurons-nous mon conjoint et moi? »

    Ce cas ne s’est pas présenté et je ne suis pas sûre qu’à cette époque j’aurais pu accepter ce qui pouvais nous arriver. Bien plus tard, j’ai eu l’occasion de faire du chemin dans ce domaine. J’ai eu la chance d’accueillir un enfant différent dans ma classe et je peux affirmer que ma plus belle année d’expérience en tant qu’institutrice est celle où les enfants (4 et 5 ans) et moi-même avons découvert le handicap grâce à Félix. C’était une année merveilleuse, la plus belle de ma carrière, aussi riche pour les enfants que pour moi! Les enfants ont réalisé que chacun a des particularités et qu’on peut apprendre à vivre avec des manques. Ils ont découvert que le handicap, qu’il soit mental, moteur ou psychique n’empêche pas d’avoir des relations profondes et amicales.

    Suite à cette année scolaire très particulière Erik est devenu parrain d’un enfant lourdement handicapé (physique et mental). Régis a 27 ans aujourd’hui et nous sommes ravis de cheminer avec lui.

    La vie est bien faite, elle nous apporte ce dont nous avons besoin pour « grandir » et progresser. Elle m’a également mis sur le chemin d’une personne qui ne réalise certainement pas à quel point elle m’enrichit ! Merci Denis pour votre présence et ce que vous m’apportez!

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